Fabienne Juhel
la brune au rouergue – 18,80 €
Aucun invisible jamais ne répond à tes questions. Ils réagissent parfois à tes paroles, à tes invectives en déplaçant des objets sur de courtes trajectoires rectilignes ou en déclenchant des courants d’air dans les pièces pourtant closes.
La femme murée, Jeanne Devidal, la folle de Saint-Lunaire, une femme drôlement coiffée et qui, à la seule force de ses mains, construit une maison de bric et de broc devenue l’une des attractions touristiques de cette station balnéaire située en Ille-et-Vilaine. Objet de scandale aussi et de tous les fantasmes. Au rythme des marées et de l’élévation des murs, le récit d’une vie et d’une construction improbable se tisse par touches impressionnistes et poétiques sous le regard bienveillant de l’auteure. Meurtrie par la vie, toi, la femme, tu restes seule entre les murs de cette maison, rempart hissé pour mettre à distance les douleurs du dehors.
Moi, la bête immonde, je me nourris du cœur des hommes, et toi, Femme-monde, tu amasseras des pierres pour dresser des murs contre le monde qui chavire et te protéger des hommes sans coeur…
Deux guerres – la résistance – la disparition de ses proches – la torture et l’internement – la solitude au mitan de sa vie interrompue par les protestations du voisinage, les visites des curieux, les êtres blessés comme toi, la femme et ce dialogue silencieux qui la relie à ses invisibles dont ce cher Lucien, frère et compagnon de jeu, balayé par la guerre.
Fabienne Juhel met en scène Jeanne Devidal avec beaucoup de sensibilité, d’empathie, de distance entre le tu et « la femme », une juste distance qui lui donne corps, âme et chair. Entre désordre et recherche de sens, entre visible et invisible, entre construction et nature, mouvement perpétuel et jouissance du moment suspendu, la femme murée est l’histoire d’une vie hors-norme, d’une édification qui révèle les forces et les fragilités d’une humanité malmenée par elle-même. Ce roman est aussi l’histoire d’une oeuvre littéraire en création. Une mise en abîme puissante, humaniste, profonde & onirique.
Gaëlle Pairel, coordinatrice de la FCLB