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Métropoèmes

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Maram al-Masri

Bruno Doucey – 2020 – 16 euros

Victor Hugo

viens avec moi dans le métro
déshabille-nous jusqu’à l’os
habille-nous d’un poème
regarde autour de toi
vois la beauté
vois la laideur
écoute les cœurs

Viens avec moi
apporte avec toi, poésie
l’imagination et le rêve
dont nous avons tant besoin.*

La poésie de Maram al Masri s’empare du métro, de ce peuple de l’ombre qui chemine de couloirs en wagons, de ces vies qui se croisent sans se rencontrer. Sauf ces regards fugaces d’un quai à l’autre, sauf ce conducteur qui ouvre sa porte, sauf ces éphémères instants d’humanité.
Ce voyage nous emporte d’une ligne de métro à l’autre et nous invite à la rencontre en compagnie de cette grande poétesse syrienne qui sait tendre la main, regarder la solitude et la misère, éprouve de la tristesse et de la joie face à tous ses semblables dont les destins se côtoient le temps d’un trajet partagé.

Nation

Le même wagon
nous transporte
Chaque minute affluent de nouveaux corps
qui maquillent leurs secrets et leurs odeurs
comme une femme chauve qui enfile une perruque

Il y a celui qui n’a pas dormi
Il y a celui qui vient de sortir de son lit
Il y a celui qui a encore des baisers accrochés à ses lèvres
et celui qui est en train de les donner
Il y a celui qui était au travail et celui qui y va
celui qui a quitté un être cher et celui qui est quitté
celui qui pleure et celui qui rit
celui qui mange
et celui qui trouve

que la mer

est encore loin.**

 

Avec Maram al Masri, il y a aussi les yeux qui fuient la réalité quand le trop plein de douleurs a fait son œuvre. Mais, la force de sa poésie, sa capacité à créer les possibles, ses mots ciselés ouvrent les horizons les plus obscurs et les plus souterrains :

Saint-Germain-des-Prés

Ne laisse pas tes rêves
dans ton lit
L’obscurité les mangera
comme les tomates
que les mères syriennes
mettent à sécher sur les toits.

Ne chausse pas tes pieds
pour descendre dans la rue
Chausse les pieds de tes rêves
eux seuls peuvent te faire marcher
danser
et même

voler.***

 

Un recueil indispensable !
à lire & à partager au fil des stations
entre poèmes de Maram al Masri
& poètes invité(e)s

Il sait peut-être,
le nuage,
de quel pays il vient…****

*Extrait poème p.135 – 136, Victor Hugo, ligne 2 direction Porte Dauphine, Métropoèmes
**p.55, Nation, Métropoèmes
***p.47, Saint-Germain-des-Prés, Métropoèmes
****p.68, Darciella Rwabahenda Keza, 6 ans, Grand Prix Poésie RATP 2018, Métropoèmes

A nos père.2

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Dima Abdallah
Mauvaises herbes

Sabine Wespieser éditeur – 2020 – 20 euros

Pour engager la conversation, il me montre souvent telle ou telle plante
en pot sur le balcon

et m’apprend le nom de chacune d’elles.
Il frotte sa main sur l’origan ou la marjolaine et me fait sentir ses doigts.

Au cœur d’un Beyrouth dévasté par la guerre civile, un père et une fille se racontent mutuellement, pudiquement. Entre bombardements & déménagements, le père écrivain et la petite fille se réfugient sur des balcons où les plantes aromatiques nourrissent des instants suspendus et partagés. Jusqu’à la séparation lorsque le père décide de rester dans son pays mais laisse partir femme et enfants vers Paris. Pour fuir le chaos du Liban et le désespoir du père impuissant face à l’absurde et au danger. Au fil du roman, ce dialogue silencieux opère avec force et émotion & la petite fille devenue une jeune femme est bouleversante. Telle une funambule, elle s’élance et s’égare avant de poser son sac à dos et de faire la paix avec cette vie d’exil.

Je ne sais plus ni quand ni comment c’est arrivé. Je ne sais plus ni quand ni comment l’oxygène a réussi à se frayer un chemin jusqu’au fond de mes poumons.

Cette histoire de l’oubli – celui d’un pays, d’une langue notamment – est aussi celle des rendez-vous manqués, de cette part d’invisible qui nous lie à l’autre, à la vie, par les mains réunies. C’est encore l’histoire d’une enfant qui, comme les Mauvaises herbes, creuse son sillon malgré l’adversité & trouve sa voie vaille que vaille. Au fur et à mesure que le destin singulier de cette famille se déploie, l’écriture de Dima Abdallah évolue. Elle devient très vite ample et fluide et nous offre un roman remarquable, plein de vie et d’espoir. 

Un premier opus puissant, émouvant
à découvrir lors de cette rentrée littéraire 2020

 

 

A nos pères.1

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Anne Pauly
Avant que j’oublie

 

Verdier – 2019 – 14 euros

Je pense seulement 
à mes parents
crépuscule d’automne*

Une histoire d’amour entre un père et une fille, une histoire silencieuse, pudique, un amour qui se niche dans le quotidien.

D’accord ma doucine, je t’aime, hein, le taxi arrive, tu fais bien attention,
tu fermes ta porte et t’éteins bien ton gaz.
C’est ça, j’ai pensé, j’éteindrai bien mon gaz**.

Un amour agacé aussi pour ce père farfelu, dans l’attente permanente de sa fille, violent & alcoolique autrefois, mangeur de BN à la vanille et collectionneur de piles à ses heures perdues. Un père désormais disparu et dont la narratrice regrette de ne pas avoir saisi l’ampleur de la solitude. Au gré du rangement de la maison, se dessine le portrait d’un homme qui s’ajoute à celui du père. Les témoignages de ses ami(e)s d’enfance – dont la lettre bouleversante de Juliette – évoquent un colosse délicat, cultivé et protecteur. Un homme abîmé par la vie mais en quête de spiritualité, de beauté simple et d’instants partagés. Avec émotion et drôlerie, la narratrice raconte la perte entre situations cocasses et moments de grande fragilité où le sens s’échappe de la réalité, où le manque s’insinue partout, où la présence de l’autre s’évanouit peu à peu. Jusqu’à ses signes qui tissent un lien au-delà de l’absence, ces signes qui réconcilient & racontent une histoire familiale dans laquelle chacun-e- se retrouve.

Avant que j’oublie raconte un deuil & ce qu’il génère de reconstruction de soi et de l’autre – celui que l’on a perdu et qui se découvre dans toute sa complexité. Anne Pauly offre ici un roman plein de vie, d’énergie, de vérité. A lire absolument.

 

Dans le cadre de la dixième édition de notre manifestation automnale
Libres en Littérature
Le Bel Aujourd’hui accueille Anne Pauly
lors d’une rencontre-lectures
le jeudi 5 novembre 2020 à 20h30

 

*p.120 in Avant que j’oublie
**p.43 in Avant que j’oublie

Photographie : DR Smith 2019

Course-poursuite &

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Royale panique à
Versailles

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Claire Le Meil
Sarbacane – 2020 – 17,50€

A peine, le couple royal a-t-il emménagé à Versailles qu’un phénix farceur sème la zizanie depuis les appartements privés de la reine. S’ensuit une course-poursuite qui nous fait croiser courtisans et courtisanes, roi chauve et ministres dans les galeries où se nichent mille détails à savourer en prenant le temps…qui accélère sa course dans les allées du Roi.

A la façon d’un film de Jean-Paul Rappeneau, cette visite haletante happe la foule versaillaise, l’entraîne au pas de charge dans les galeries du palais, la jette dans l’escalier monumental & la fait surgir dans les jardins royaux

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où bosquets, statues et fontaines accueillent les poursuivant-e-s du volatile si habile
qu’il s’échappe en toute hâte.

Le dessin épuré, aux couleurs sobres se déploie avec humour
et énergie sur des double-pages pleines de vie.

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Une histoire tourbillonnante et énergisante
qui se conclut en vers – La Fontaine & grand siècle obligent

Sire…commence celui-ci. Vous pouvez d’un éclat de poudre
mettre l’oiseau farceur en poudre.
Mais en ce printemps plein d’indolence,
nous implorons Votre Clémence.
Si Votre Indulgence se rapporte à Votre Puissance,
Vous êtes le soleil des hôtes de ces bois.

Balade

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En compagnie de 

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Nicolas Codron & Julie Colombet

Sarbacane – 12,90€ – 2020 – éveil

Balade en compagnie d’une chenille bleue qui se tend et se détend au fil des pages et des rencontres gourmandes. Fraise, gruyère, bottes en plastique, crème fouettée, jouet en bois…Tout y passe pour cette minuscule vorace qui se laisse séduire par le croquant d’une feuille tendre et verte

Mmm…miam !
ça, c’est trop bon !!!

Un joli pop-up pour se plonger dans le monde rampant et virevoltant de ce peuple de l’herbe si réjouissant : scarabée, libellule, souris, ver de terre, mouche, coccinelle, fourmi, papillon…

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Tendre et poétique, un joli livre
à déguster sans modération

Le livre est-il écologique ?

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Une chronique d’Elise Feltgen
Le Temps qu’il fait
Mellionnec – 22

1507-1

Juste avant le confinement, j’avais reçu à la librairie un livre édité aux éditions Wildproject dans la collection Petite bibliothèque d’écologie populaire dont le titre avait retenu mon attention 

Le livre est-il écologique ?

Dans la plupart des cas, la réponse est évidemment non. La chaîne du livre répond à des logiques marchandes et mondialisées et se préoccupe assez peu de l’état de nos écosystèmes, sauf lorsque la thématique devient tout à coup rentable et qu’il faut alors se presser de sortir des nouveautés (imprimées à l’étranger sur des papiers provenant en grande partie d’Amérique du sud) sur la permaculture ou la fabrication d’éponges en tissus recyclés.

En tant que libraire, passionnée par les questions soulevées par les sciences humaines et l’écologie actuelle, je m’étais souvent posée la question, sans aller beaucoup plus loin devant l’ampleur du problème : nombre hallucinant des publications annuelles et pilonnage intensif, provenance des papiers, imprimeurs délocalisés, transports, emballages, normes FSC et PEFC insuffisantes ( à propos de la gestion des forêts de notre territoire, je vous conseille d’ailleurs l’excellent documentaire de F.X. Drouet, Le temps des forêts)…

Si j’avais voulu présenter en rayon seulement des livres fabriqués de façon écologique, ma sélection aurait été de beaucoup amoindrie et c’est un euphémisme !
Heureusement, vous auriez pu trouver dans la librairie quelques très bon titres, édités notamment par Wildproject ou Zones sensibles.

 

Le temps qu'il fait

Et à quoi ressemblerait une librairie dans un monde différent ?

Un tel lieu aurait-il un sens ? ça j’en suis persuadée mais comment pourrait-il exister si justement la chaîne du livre se mettait à dysfonctionner ?

Dans le contexte actuel de pandémie, cette question devient brûlante. J’ai donc ouvert le livre : en 2019, une association pour l’écologie du livre a été crée par différents acteurs et actrices du monde du livre et de la lecture, dans l’idée « d’œuvrer à la diffusion des idées de l’écologie » auprès de l’ensemble de la filière.

ecologiedulivre.org

Ce petit ouvrage, Le livre est-il écologique ?, donne une idée des réflexions passionnantes menées par ce collectif. Il commence avec l’interview – déjà publiée dans Un sol commun, Lutter, Habiter, Penser, Marin Schaffner, Wildproject – de la libraire Anaïs Massola qui expose l’importance du métier de libraire pour la préservation de la bibliodiversité.

Nous entendons aussi le point de vue d’un éditeur –  Alexandre Laumonnier, Zones sensibles – soucieux des questions écologiques. L’autre bout de la chaîne n’est pas éludé, car l’entretien suivant est mené avec le forestier Daniel Wallauri engagé chez WWF France.

Le grand mérite de ce tout petit livre est aussi d’y avoir réuni quelques nouvelles d’éco-fictions, qui imaginent des librairies d’un genre nouveau. Si toutes les propositions ne m’ont pas également séduites, la démarche est à saluer, car c’est en faisant bouger les imaginaires qu’on peut espérer construire quelque chose de différent.

Imaginons donc une autre façon de concevoir la vie d’un livre
quelle que soit notre place dans cette chaîne
éditeur/trice, libraire & aussi lectrice et lecteur. 

Carte FCLB avec Ulysse à l'Ouest