Chronique littéraire

ENVOLS

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Narisa Togo

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Sarbacane – 17,50€ – 2018

 

Avec une envergure de trois mètres et demi, l’albatros hurleur est le plus grand des oiseaux. Il passe le plus clair de son temps en vol mais actionne peu ses ailes de géant, ce qui lui demanderait trop d’énergie. Il s’en sert plutôt pour planer sur les puissants vents marins et prendre de l’élan en profitant des écarts de vitesse entre les masses d’air, une technique connue sous le nom de vol de gradient. Ainsi, il peut rester des heures en l’air et couvrir des milliers de kilomètres d’une seule traite : certains auraient même fait le tour du monde en 46 jours.

 

Quatorze portraits d’oiseaux – entre texte et linogravure – se déclinent au fil des pages. Du Pycargue à tête blanche, symbole de l’Amérique du nord au faucon pèlerin largement répandu sur la planète, cet album allie données documentaires et beauté des illustrations. Narisa Togo déploie son talent sur des doubles-pages somptueuses où l’oiseau apparaît dans son habitat naturel : lacs salés d’Amérique du Sud, forêts humides d’Indonésie et Papouasie-Nouvelle-Guinée, marais japonais ou encore les îles isolées des mers du sud au Pacifique nord.

 

 

La singularité de chaque oiseau est développée – anatomie, parade amoureuse, migrations – en deux paragraphes informatifs et pertinents. Où l’on apprend que la barge rousse effectue un vol sans escale entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande soit plus de 11000 kilomètres parcourus au-dessus du Pacifique, que l’effraie des clochers possède l’ouïe la plus fine du monde animal et que le faucon pèlerin est le plus rapide de tous les animaux tombant sur sa proie à plus de 300 km/h, en piqué. Les illustrations sont une invitation à la contemplation et à la rêverie. Amoureuse des oiseaux depuis l’enfance, Narisa Togo nous propose ici de les observer et de les connaître. Mieux les connaître pour mieux les préserver comme le perroquet-hibou désormais protégé ou l’albatros-hurleur,

un des rares oiseaux à mourir de vieillesse. Toutefois, certaines techniques de pêche, comme la palangre, menacent désormais l’espèce.

 

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Ce superbe bestiaire est une louange
à la beauté et à la diversité.

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Gaëlle Pairel, coordinatrice de la Fédération des Cafés-librairies de Bretagne

Un ours, une chevrette et un renardeau

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La rivière
Olivier de Solmninihac – Stéphane Poulin

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éditions Sarbacane – 2018 – 15,90€ – à partir de 3 ans

Alors que le printemps s’annonce, les trois amis – l’ours Michao, la chevrette Marguerite et le renardeau-narrateur se retrouvent. Le trio court se promener au bord de la rivière, abandonnée pendant l’hiver. Elle redevient alors le lieu de tous les plaisirs simples et partagés, une ligne de séparation naturelle & la source d’un drame heureusement évité.

On entend la rivière avant de l’apercevoir. Ses eaux vertes ou grises ou brunes, qui frissonnent sous le vent, qui se séparent sur les rochers, qui se cachent dans les roseaux.
Il
y a les traces d’un ancien passage : les ruines de ma cabane, un rond de cendres avec quelques feuilles d’un vieux journal roulées en chiffons,
et une souche d’arbre sculptée en forme de fauteuil de roi.

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A la fois joyeuse et mélancolique, cette balade au bord de l’eau nous invite à rejoindre ces trois compères et à partager ce moment au cœur de la nature. Chausser ses bottes, humer l’air du printemps, faire des ricochets, se réconforter, couchés les uns contre les autres, après la catastrophe évitée…

Le texte délicat d’Olivier de Solminihac se lie à nouveau aux illustrations lumineuses et subtiles de Stéphane Poulin pour ce troisième album poétique. Les paysages se dessinent en transparence et donnent ainsi, entre blanc, vert et bleu, une impression de douceur et de temps suspendu. Temps des retrouvailles après une longue absence, plaisir de sortir. Le réveil printanier s’inscrit dans l’élan des corps, la cueillette de perce-neige, le vol d’une hirondelle, l’horizon que l’on scrute avec ce désir de le rejoindre, le bondissement d’un ballon. Le dessin tendre et coloré se déploie en mouvement sur des doubles-pages majestueuses où l’illustrateur multiplie les points de vues et les perspectives. Ces plans larges ou resserrés, ces plongées et contre-plongées révèlent la beauté de la nature et saisissent la profondeur et la délicatesse des liens qui unissent nos trois compères.

illust rivière

Cet album est un hymne 
à la beauté, au bonheur, à l’amitié.
Un livre tendre à lire sous la couette.

Gaëlle Pairel, coordinatrice de la Fédération des Cafés-librairies de Bretagne.

EDMOND

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Léonard Chemineau

d’après la pièce d’Alexis Michalik
Rue de Sèvres – 2018 – 18 €

Edmond de Rostand : On ne peut pas monter Cyrano en 3 semaines.
La pièce n’est pas écrite !

Coquelin aîné : Molière a bien monté Tartuffe en 8 jours !

Edmond de Rostand écrit Cyrano de Bergerac soutenu par Coquelin aîné, directeur du théâtre de la Porte Saint Martin. Dans une ambiance enfiévrée et jubilatoire, nous plongeons dans le Paris de cette fin du XIXème siècle et les coulisses de cette pièce devenue un des grands classiques du répertoire français. Avec humour et un brin de tendresse moqueuse, Léonard Chemineau nous fait partager la vie d’Edmond Rostand, ses doutes, ses élans créateurs, sa vie d’homme et d’auteur.

Nous rencontrons Honoré, patron de café, dont il s’inspire pour écrire la tirade du nez,

Ah ! Non ! C’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire…oh ! Dieu ! … bien des choses en somme…
En variant le ton, —par exemple, tenez :
Agressif : « moi, monsieur, si j’avais un tel nez,
Il faudrait sur le champ que je me l’amputasse ! »
Amical : « mais il doit tremper dans votre tasse :
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! »
Descriptif : « c’est un roc ! … c’est un pic… c’est un cap !
Que dis-je, c’est un cap ? … c’est une péninsule ! »

sillonnons Paris et Issoudun en compagnie de Rostand et de son ami Léonidas Volny, à l’origine de la scène du balcon et de quelques sorties nocturnes. Au fil des pages, nous croisons le TOUT PARIS de l’époque : Coquelin, Sarah Bernardt, Maria Legault… et les parisiens qui peuplent ces nuits festives, légères et pétillantes.

EDMOND est l’histoire magistralement mise en scène et en dessin d’un chef d’œuvre en devenir.

Rythmé et plein d’énergie, cet album célèbre
la vie autant que les vers.

La guerre d’Algérie

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Une embuscade dans les Aurès
Anne Guillou

 


Skol Vreizh – 2018 – 15 €

Le recteur se dirige vers moi, m’entoure les épaules et me dit
Raymond est mort ! Il a été tué hier dans une embuscade !
Je proteste, crie à la méprise. J’ai reçu une lettre hier !
Non, non, il est mort, insiste le recteur.
Et, s’adressant à mes parents qui échangeaient avec le maire :
La colonne a été attaquée. Ils ont répliqué ! Une balle en plein cœur ! Il n’a pas souffert.*

Le 12 septembre 1960, Anne Guillou, jeune finistérienne de 20 ans, perd son fiancé, officier saint-cyrien tué en Algérie. Dans ce témoignage, l’auteure nous offre une lecture intime et très documentée de ce conflit. A partir des articles du Télégramme de l’époque, de nombreuses archives, de sa mémoire des événements, de son voyage récent en terres algériennes, Anne Guillou, sociologue, retrace l’histoire d’une jeunesse brisée. Les hommes embarqués dans une guerre qui ne dit pas son nom, les femmes qui attendent leur fiancé, leur mari, leur enfant. Une génération de jeunes soldats confrontés à une réalité traumatisante. Une embuscade dans les Aurès est aussi un portrait d’une jeune femme qui apprend à transformer l’épreuve par la connaissance, la perte par l’appel de la vie.

Avec le temps, quand les larmes se sont séchées, quand j’ai vu la reprise des études comme une éventualité, j’ai ressenti un fort désir de vivre et d’enfouir jusqu’au souvenir de mon malheur. Ce qui s’était passé en ce mois de septembre 1960, je ne voulais plus qu’il habite mes pensées et mes journées. Je voulais l’oublier, oublier mon état de quasi-veuve. Je serai seule désormais, mais je vivrai. J’y suis parvenue.*

P.92 & 201, in Une embuscade dans les Aurès

Gaëlle Pairel, coordinatrice de la FCLB

 

Lena Merhej

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Laban et 
confiture
ou comment ma mère est devenue libanaise

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Mes premiers souvenirs sont ceux de ma famille, de ma mère surtout.
Et ce travail, Laban et confiture, est un mélange de souvenirs qui me reviennent,
parfois à partir d’un événement ou d’une pensée, parfois de je ne sais où.

éditions ALIFBATA – Marseille – 15€

Tour à tour pétillante, mélancolique, cocasse, la narratrice nous plonge dans son histoire familiale profondément marquée par la figure maternelle et la guerre. La seconde guerre mondiale vécue par la mère alors enfant à Hanovre puis le conflit libanais subi par toute la famille quelques quarante années plus tard.

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Arrivée en 1967 au Liban, pédiatre et femme engagée, la mère de la narratrice épouse ce pays d’adoption.

J’avais l’impression qu’elle connaissait Beyrouth par cœur,
comme le Liban tout entier, d’ailleurs.

Au gré de ses souvenirs, suivant une logique sensible, Lena Merhej nous offre à partager le quotidien baroque de son enfance porté par cette mère hors-norme. Elle nous propose une réflexion sur ce qu’est l’identité, en révèle toute la complexité et nous invite à remonter le fil de cette épopée personnelle entourée des siens.

Tendre, profonde et légère en même temps, cette chronique est passionnante et touchante. Le dessin plein de vie fourmille de détails et porte avec humour et beaucoup d’énergie cette saga familiale. Cette succession de vignettes noires et blanches apporte une belle densité à ce conte qui se déploie entre orient et occident.

Un roman graphique entre mère et fille… évidemment singulier…éminemment universel.

Gaëlle Pairel, coordinatrice de la FCLB

Le livre d’Amray

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Yahia Belaskri

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éditions Zulma – 16,50 €

 

J’ai vu ce pays se défaire
avant même de s’être fait

 

Ces vers de Jean Senac annoncent le destin tragique d’un pays que le narrateur ne nomme jamais, Amray, amoureux et poète, confronté à l’absurde, à l’injustice et à la peur née d’un système inique et défaillant. Que peut faire le poète sinon habiter ses rêves ?
Amray nous plonge dans l’histoire contemporaine de l’Algérie à travers son parcours semé de désillusions. Son histoire épouse les questionnements et les tourments de ces années 60 et 70 où un monde nouveau semblait possible…Puis vient le temps de la trahison, du dogmatisme et le rêve s’exile…comme le poète acculé au départ

Il s’en va le poète
porté par le vent hurlant, parsemant les buissons de ses phrases

accrochées aux barbelés de son enfance.

A travers Amray, Anzar, Octavia, c’est l’histoire de l’Algérie qui se dessine. Une histoire ancrée dès l’antiquité, marquée par les figures emblématiques et historiques d’une lutte incessante pour sa liberté : Augustin, la Kahina, Abd-el-Kader. L’histoire d’une terre qui se raconte au pluriel. Un roman porté par le souffle du vent et la force des mots.

 

Gaëlle Pairel, coordinatrice de la FCLB