FRANCESCO GATTONI
écrivains du Monde
éditions Magellan & Cie, Paris, 2016, 24 euros
Mes traits fixés pour toujours sur une photographie me font
l’effet d’une dénonciation : tu es comme ça.
C’est une galerie de portraits. Certains nous décochent un regard franc, d’autres fixent quelque chose hors-champ dont nous ne saurons rien. Ce sont des écrivains et ce sont leurs portraits par Francesco Gattoni, photographe officiant pour Le Monde — d’où le titre. Dans cet album se rencontrent pourtant d’autres portraits que celui de l’écrivain par le photographe : le premier renvoie parfois par sa plume un portrait du second, ou du décor, ou de l’instant de la capture de l’image ou d’eux-mêmes qu’ils sont surpris de rencontrer de cette manière pour la première fois. Ce travail kaléidoscopique embrasse la richesse des lectures que permettent ces instantanés où la relation entre auteur d’images et auteur de mots est elle-même particulièrement incarnée.
Ce dialogue entre les portraits de Francesco Gattoni et les textes des auteurs — ou justement l’absence de ces textes pour certains — nous renseigne de façon ludique sur la personnalité de ces écrivains du monde, dans leur réalité et leur part de fiction.
YVES GAUTHIER
Gagarine ou le rêve russe de l’espace
éditions GINKGO, Paris, 2015, 20 euros
La terre est le berceau de la raison humaine mais
on ne peut pas vivre indéfiniment au berceau.
Konstantin E. Tsiolkovski
La gravité est l’un des principes physiques les mieux admis pour tout terrien un tant soit peu rationnel. L’épopée Gagarine nous rappelle que ce principe vaut aussi pour la vie humaine : il n’y est pas d’ascension sans chute, là où la poussée vers l’azur requiert une force considérable. Le 12 avril 1961, Youri Gagarine est passé avec son Vostok dans l’ombre de la terre pour être pris dans la lumière médiatique le restant de ses jours. Jeune kolkhozien devenu apprenti fondeur, puis pilote amateur, il est le premier voyageur du cosmos. La lecture du parcours hors du commun de cet homme ordinaire et de ses camarades nous invite à un voyage au grès des fantaisies des savants soviétiques à l’aube de l’exploration spatiale, de la fabrique des héros du peuple et de ses rêveries bercées d’immensité.
Yves Gauthier dévie les lignes de l’écriture biographique pour nous rendre compte de la complexité de l’intrication entre les aspirations des individus et les desseins du pouvoir soviétique. L’auteur nous fait ainsi partager sa tendresse pour ces hommes et ces femmes, jeunes et vieux, qui ensemble ont ouvert les voies du ciel au reste de l’humanité.
GUSTAVE WIED
La méchanceté de la vie
éditions GINKGO, Paris, 2004, 19 euros
Quand les ordures deviennent honorables et quand les gueux ont de l’argent,
c’est comme si les poules avaient des souliers vernis.
Gammelkobing (Trifouillis-les-Oies) est une petite ville danoise « gentiment calme et paisible », avec ses paysans, ses notables, ses originaux et son club de bourgeois débonnaires et ventripotents. Aux dires de tous, tout va pour le mieux dans le meilleurs des petits mondes. Jusqu’à l’arrivée du douanier Knagsted. Cet homme hirsute et misanthrope aux répliques assassines fait bientôt voler en éclats l’ordre établi des minauderies, des faux-semblants et des hypocrisies de tout poil, pourtant indispensables à la paix d’une société si étroite. Cette satire humaine et sociale nous régale de bassesse et de cruauté dans un monde de bourgeois satisfaits et d’humbles indigents aux rêves néanmoins tenaces.
Gustav Wied distille dans La Méchanceté de la vie une critique sociale fine et universelle. Le siècle qui nous sépare de cette œuvre ne semble pas avoir en avoir flétri le sens ni le goût du rire jaune.
Chroniques de Faustine Roué, libraire